samedi 28 octobre 2017

Jean-Louis Heng est de Sevran

Je n'ai jamais fait ça.
Je vous prie de m'excuser si cela peut apparaître un rien déplacé mais je vais m'adresser tout particulièrement à l'un de mes lecteurs, qui est aussi l'un de mes étudiants. Il (ou mieux) Tu viens d'une ville que je ne connais pas mais qui a en somme une forme particulière faite d'images trompeuses de sa réputation : Sevran.
Je ne parlerai pas et je ne discuterai pas de cette réputation mais bien d'une image particulière dont tu reconnaîtras le lieu que toi, tu connais.
Jean-Louis, voici :


La carte postale Lyna (éditeurs, appellez-moi !) fut expédiée en 1974, j'avais sept ans et toi, Jean-Louis tu n'étais pas là. La carte postale nous montre la Mairie de Sevran. J'avais fait le pari de t'expliquer pourquoi on pouvait bien la trouver belle et Jean-Louis tu étais impatient à cette leçon. Vois-tu l'architecture c'est bien entendu souvent une représentation, c'est souvent la manière dont nous pouvons en discuter, là, le bâtiment dans la main, contenu dans une carte postale ou pour toi sur ton téléphone portable comme tu le fais si souvent pour me montrer tes balades urbaines. Tenir l'image, tenir ainsi ton monde, tes lieux dans nos mains est toujours une chose que je trouve incroyable, toi tu trouves cela aussi naturel.
Alors je démarrerai ici depuis cette image d'abord sur le haut, sur le ciel bleu cela va de soi. Le ciel est bleu pour dire la lumière, pour dire aussi la convention de ce type d'image, tout comme l'arbre au premier plan semblant par ses branches nous présenter enfin l'objet.
D'une grande rigueur, presque d'une géométrie outragée, surpassée, le petit bâtiment qui fait cette Mairie est d'une extrême simplicité visuelle comme si absolument rien d'inutile ne devait venir perturber l'ordre de sa construction. L'ordonnancement de cette façade ne raconte rien d'autre que l'alignement des modules du mur-rideau déposés entre les poutres noires de la structure métallique. C'est une belle cage métallique qui reçoit ces panneaux préfabriqués en usine ce qui, tu vois, Jean-Louis, me réjouit tout particulièrement. J'aime quand le bâtiment affirme sa fonction mais surtout sa construction, raconte par la vue sa fabrication. Tout ici est lisible, d'une clarté époustouflante dont d'ailleurs la blancheur des panneaux en contraste avec les verticales des poteaux noirs accentue encore cette transparence constructive. Tu vois ?
Souvent ce genre de construction était une réponse à une forme d'urgence, de nécessité impérieuse de construire vite une annexe pour peut-être répondre rapidement à l'augmentation de population de ta ville, au boum démographique des Trente Glorieuses. J'imagine peut-être à tort tes parents venant là déclarer ta naissance. Tu es de là.
La Dauphine Renault dont je suppose que tu ne connais pas l'existence résonne pour moi de souvenirs personnels. Les deux autos doivent être celles du personnel de la Mairie, elles sont garées sur le parking réservé.
Une chose encore me séduit, une chose dont je parle parfois sur ce blog et qui est un élément important dans ce type d'architecture et qui est souvent oubliée : les stores en textile.
Souvent d'une couleur vive, ici un jaune puissant, les stores par leur aplat de couleur, l'alternance joyeuse de leurs ouvertures ou de leurs fermetures font chanter la façade simplement comme si l'orthogonalité d'un Mondrian pouvait devenir un cinétisme d'usage.


Regarde bien Jean-Louis comment l'ouverture de la fenêtre est repoussée dans l'angle droit du panneau pour le deuxième étage puis repoussée à gauche pour le premier étage. Cette alternance permet soudain à l'angle du bâtiment de faire se toucher deux ouvertures. On devine même en haut le bleu du ciel qui passe au travers de l'angle. Ça m'émeut cette transparence. L'autre jour avec Claude nous avons photographié un très bel immeuble au Havre qui jouait lui aussi avec ces stores sur sa façade dont la modernité venait bien aussi de ces morceaux de tissus rendant compte des habitants et de leur désir de lumière. Regarde Jean-Louis :




Parfois, je rêve qu'un étudiant en architecture fasse une histoire du store dans l'architecture moderne.
Vois-tu également sur la carte postale de la Mairie de Sevran les lignes grises qui séparent les étages ? Elles sont sans doute les signes extérieurs de l'épaisseur nécessaire aux gaines techniques : eau, électricité, chauffage et téléphone. Dans cette épaisseur camouflée sans doute par un faux plafond à l'intérieur se cache bien l'ensemble de la mécanique du bâtiment. Peintes en gris, ces lignes permettent d'étirer la façade, de lui redonner de l'horizontalité et donc d'en alléger visuellement l'impact.
Tu m'as envoyé sur mon téléphone trois photographies de cette Mairie de Sevran en cours de démolition. Tes photos permettent bien de lire la structure de l'ensemble et je m'autorise à les reproduire ici. Si cela te dérange, dis-le moi. Tu comprendras alors, devant le mouvement des villes, devant leur transformation que la carte postale même prise dans son genre, dans ses codes, te permet bien d'en suivre l'histoire. Les cartes postales constatent, tout comme toi et tes photographies. Elles disent que quelqu'un est venu là et a regardé. C'est déjà bien.



on devine sur l'horizon les immeubles vus ici :http://archipostcard.blogspot.fr/2010/08/volumetries-de-banlieue.html

Je n'ai pas le nom de l'architecte mais je crois qu'il doit être un architecte associé sans doute au fabricant de panneaux, à une société d'architecture métallique. On reconnaît bien ce type d'architecture qui, à cause des collèges Pailleron, eut une mauvaise réputation. Pourtant, le mur-rideau sur structure métallique a beaucoup de qualités à la fois structurelles et esthétiques. Alors tu m'envoies une image de cette mairie en déconstruction. Elle disparaît sous ta génération. Tu l'as regardée car tu regardes beaucoup ta ville, la ville. C'est bien. Je sais que ce que tu aimes c'est apprendre, que tu crois vraiment que les objets autour de toi te parlent un peu plus que l'idée seule que l'on se fait de la banlieue et des gens qui l'habitent. Je ne viens pas de là.
Depuis quelque temps j'écoute Eddy de Pretto. Et en particulier une chanson, Beaulieue. Je t'en ai parlé par SMS hier soir.
Dès la première écoute j'ai pensé à toi et à tes camarades Joris et Farid. J'ai pensé à vous. Eddy de Pretto lui, vient de Créteil, j'en reparlerai certainement ici. Mais les paroles de sa chanson, son regard distancié et aimant à la fois me font penser à vous. Excuse-moi si je me trompe et je me trompe sans doute.
J'espère avoir rempli ton attente et nous en reparlerons après les vacances. Tu seras retourné à Sevran et moi dans mon pavillon Phénix. On trouve le bonheur où on peut. Il paraît qu'on vient tous de quelque part, pour ma part, j'aime mieux les carrefours que les ports d'attache car ils me permettent, les carrefours, d'avoir croisé nos chemins.
Bien à toi, Jean-Louis.


samedi 21 octobre 2017

Un constructiviste à Marseille en 1928

 - Je l'ai ! Je l'ai ! Je l'ai !
Dans les enceintes de mon autoradio, la voix de Jean-Jean me fit comprendre que je devrais immédiatement à la fois être dans sa joie et dans la compréhension du sujet dont il me parlait.
 - Ouais, David, j'ai retrouvé Zolotobin ! Une photo et une carte !
 - Attends... Deux secondes, Jean-Jean, deux secondes.
Je stoppai la voiture sur le bas côté, je coupai le moteur et j'essayai d'avoir une conversation plus posée avec mon interlocuteur.
 - Alors ? Redis-moi ça calmement, Jean-Jean.
 - David, On a retrouvé ce matin une photo de Zolotobin dans les papiers. Tu vois le carton Pays de l'Est sur l'étagère ?
 - Oui.. Celui à gauche en bas de l'escalier ?
 - Euh non, celui en haut...
 - Qu'importe ! Donc ?
 - Bon eh bien, là, dans une enveloppe du même papier que le texte, on a retrouvé une photo et une carte postale d'un pavillon à la Foire de Marseille en...
 - ...en 1928, reprit Walid dont je reconnus la voix en arrière-plan.
 - Ouais, 1928. La photo est étrange comme un photomaton mais découpée dans une carte postale également très bizarre mais au dos, figure le nom de Georges Zolotobin écrit au crayon et la date de 1928.
 - Ah mais c'est génial ! Je veux voir ça !
Dans l'instant, sur mon portable, je reçus une image des mains de Jean-Jean tenant la photographie puis une autre tenant la carte postale.


























Je m'empressai de demander à Jean-Jean de me faire des scans rapidement et de me les envoyer. Le temps que je rentre chez moi, j'avais dans ma messagerie les images suivantes :




Bien entendu la surprise était totale et la jubilation bien grande. Pourtant il fallait tenter de froidement analyser ce qui pouvait l'être et relativiser aussi un peu l'importance des documents, non pas tellement pour eux-mêmes mais pour ce qu'ils pouvaient livrer d'informations supplémentaires sur Georges Zolotobin. D'abord la carte postale du Pavillon de l'U.R.S.S à la Foire de Marseille n'indiquait aucun lien direct avec Zolotobin à part la promiscuité du rangement. Cela ne nous permet pas d'établir de liens directs et concrets entre les deux images, à part, bien entendu, que Jean-Michel Lestrade avait cru bon de les ranger ensemble. Rien dans les feuillets tapuscrits ne signalant ce Pavillon de l'U.R.S.S. il fallait tenter de trouver un lien. On pourrait en suivant le texte penser que Zolotobin, seulement quelques années après le Pavillon de Melnikov à l'exposition des Arts Décoratifs de 1925, avait pu aussi s'occuper de celui de Marseille en 1928. Cela semble assez logique. Mais de quel type d'aide s'agissait-il ? Avait-il participé au dessin et à l'architecture de ce Pavillon de Marseille ? Ou, comme pour Paris seulement servi d'intermédiaire ou de médiateur entre les différents acteurs de cette construction ? On notera que malheureusement la carte postale ne donne pas le nom du ou des architectes de ce Pavillon qui pourtant affiche clairement une modernité bien marquée.



Le Pavillon rouge flotte sur Marseille.

Sa volumétrie, ses décrochements, la gestion de l'entrée, l'importance même accordée au mot U.R.S.S écrit dans une superbe typo et brandi comme un totem, tout cela donne bien la sensation d'une architecture encore marquée par le constructivisme. On devine aussi des aplats de couleur et on regrette vivement que l'image soit imprimée seulement en deux tons...
Je n'ai rien trouvé sur cette manifestation commerciale à Marseille mais les Foires commerciales de ce type sont assez fréquentes et bien entendu imitent celles de la capitale. Au dos de la carte postale on trouve les indications suivantes :




On peut donc penser que Zolotobin ait travaillé pour cette Représentation Commerciale de l'U.R.S.S. à Paris. On notera que les tampons de la Poste indiquent bien que la carte fut expédiée au moment même de la Foire de Marseille même si le correspondant semble illisible. Il ne peut bien entendu pas s'agir de Jean-Michel Lestrade car, rappelons-le, ce dernier est né en 1923. Les documents sont donc arrivés chez Lestrade bien après. Don de Zolotobin lui-même ? Possible mais on sait aussi que Lestrade conservait et cherchait des documents de tous ordres pour ses archives. On notera enfin que le cliché de ce Pavillon de l'U.R.S.S est signé Rap et que la qualité éditoriale de cette carte postale est vraiment peu luxueuse...
Pour ce qui est de la photographie de Georges Zolotobin, je crois que c'est plus simple. On voit d'abord un jeune homme au chapeau à bord très large et bien enfoncé sur une tête qui est sérieuse et qui sait qu'elle pose pour la postérité. Il s'agit d'une photographie de studio. On devine un manteau d'hiver et la date écrite à la plume et à l'encre verte nous indique le 20 mars 1927 ce qui correspondant à l'age de Georges Zolotobin né en 1900.


Au dos, avec la date apparaît donc son nom, écrit au crayon et sans doute a posteriori comme pour ne pas oublier qui est photographié. On reconnaît d'ailleurs l'écriture de Jean-Michel Lestrade. On note aussi que la photographie est tirée sur un papier ayant les marquages d'une carte postale, je pense donc que cette photographie fut tirée sur un papier pour carte-photo, sans doute avec plusieurs vues puis découpée selon les besoins en plusieurs petites photographies. Mais quel visage ! Quelle expression ! Il serait aisé de voir dans ce portrait l'image d'un jeune homme de caractère, sûr de lui, fier même, surtout de son chapeau superbe. Vu la familiarité de cette photographie, je suis certain que c'est Zolotobin qui l'a donnée directement à Lestrade, je n'imagine pas qu'un tel document, aussi personnel, ait pu être trouvé par Lestrade en dehors du cercle familial de Georges Zolotobin. Si on conclut à cette proximité, cela veut dire également que Jean-Michel Lestrade a connu personnellement au moins la famille de Zolotobin si ce n'est Zolotobin lui-même qui, rappelons-le habitait Sèvres tout comme Lestrade...
Un scénario se dessine : Lestrade fait un enregistrement du témoignage de Zolotobin et lors de cet enregistrement ou à cause de lui, une amitié pousse Zolotobin a lui confier son histoire et aussi ces deux documents. Mais pour quoi faire ? Et pourquoi alors que l'ordre règne dans les documents du Fonds de l'Agence Lestrade, le tapuscrit de l'interview et ces deux documents ne furent pas conservés ensemble ? Un projet éditorial ? Un article ? Et pourquoi Zolotobin ne fait pas allusion à ce Pavillon de la Foire de Marseille en 1928 dans son témoignage ? Pourtant, ce Pavillon par son architecture prouve bien qu'en 1928 la jeune U.R.S.S communiquait encore avec une architecture moderne et abstraite même pour une manifestation en Province. Mais quel document !
Le souci c'est que, évidemment plus on creuse, plus il faut trouver des réponses. Qui furent les architectes de ce Pavillon, quel rôle Georges Zolotobin a joué dans sa construction, pourquoi ne pas l'évoquer dans son témoignage et donc aussi, finalement quelle relation exacte entretenait Jean-Michel Lestrade avec son voisin, son aîné de 23 ans, ayant travaillé avec Melnikov et l'avant-garde soviétique ?
Merci de ne pas copier ces documents sans l'autorisation de la famille Lestrade.


samedi 14 octobre 2017

C'est ma cité



Frédéric en 1971 envoie à SBE ( Sébastien ?) une carte postale de Nanterre, de la Résidence des Fontenelles. Il choisit une carte postale Abeilles-Cartes pour Lyna (éditeurs écrivez-moi !) dont malheureusement le photographe reste anonyme.
Pourtant, nous aurions beaucoup aimé discuter avec lui de son choix de point de vue et surtout comment il y avait accédé. On imagine la discussion avec l'habitant...
En effet, il ne fait aucun doute que nous sommes en hauteur et donc que le photographe projette son appareil photo dans le vide d'un immeuble pour saisir les espaces, les canyons entre les tours. Et l'air de rien, cela peut permettre tout de même d'analyser l'urbanisme, de saisir ainsi finalement le facteur de densité des constructions laissant entre elles du vide qui offrira à l'œil une régalade de perspectives et évitera le vis-à-vis de la rue au profit d'espace libéré au pied desdites tours. Que l'œil du photographe puisse glisser ainsi entre les architectures dont la multiplication implacable et sereine appuie finalement la beauté est l'une des avancées objectives de ce Hard French si souvent décrié. Telles des sculptures minimales puissantes, offrant l'air et la vue, les tours sont des objets de vision. On aimera aussi puisque la couleur est là, le jeu simple des façades rayées verticalement, alternant gris et blanc, pour étirer un peu vers le haut ces tours tout de même un peu massives. On regrettera aussi peut-être la manière dont ces volumes tombent sur le sol sans remords. Pour ma part, au-delà des questions de l'habitat, j'aime que le bloc se pose ainsi. Mais il faut avouer que beaucoup des chances de cette architecture tiennent dans les hauteurs, dans l'élévation et que les premiers étages doivent perdre les plaisirs du vol en plein ciel.
Alors je ne regrette pas que Frédéric ait écrit au stylo-bille sur sa carte postale. Loin de la dénaturer, cette inscription est une affirmation solide, joyeuse, presque fière de l'endroit où l'on vit, comme le signe évident que le plaisir de la carte postale vient aussi de pouvoir s'y situer.



Je trouve alors une autre carte de la même Résidence des Fontenelles, toujours par l'éditeur Lyna. Une fois encore le photographe n'est pas nommé. Ici, il choisit le sol du parking, il est piéton et une fois encore il cadre large pour que sans doute le plus possible de tours entrent dans le cadre. La massivité ici semble plus forte, les constructions s'affirment plus comme des blocs posés à distance laissant le ciel tomber jusqu'en bas. Une fois encore je veux souligner l'importance des stores comme moyen de ponctuer les façades de couleurs qui tranchent judicieusement avec le gris des peintures.




Personne.
Les arbres tout frêles encore de leur jeune âge ne donnent pas d'ombre, le skaï des banquettes des autos devaient cuire les fesses des automobilistes.
Sur aucune de ces deux cartes postales n'est inscrit un jugement négatif sur cette architecture. Je n'en tire aucune conclusion, vous le ferez pour moi.

Petit rappel : à Nanterre, une menace de défiguration des Tours Nuages d'Émile Aillaud est en cours. Après le scandale de l'abandon de l'école d'architecture de Nanterre, il semble qu'à nouveau cette ville laisse son Patrimoine Moderne et Contemporain se détériorer et perdre son identité visuelle et architecturale. Combien d'outrages la ville de Nanterre a-t-elle l'intention encore de produire ? Que font les agents locaux de la protection du Patrimoine ? Que pensent Madame Nyssen et son copain Monsieur Hulot du saccage de l'Architecture Moderne par les nouvelles normes énergétiques ?
En attendant, signez la pétition contre ce nouveau massacre :
https://www.change.org/p/madame-la-ministre-de-la-culture-tours-nuages-de-nanterre-arrêtons-le-massacre
http://www.sppef.fr/2017/10/05/petition-tours-nuages-de-nanterre-arretons-le-massacre/

lundi 9 octobre 2017

Melnikov, un témoignage exceptionnel

Dans cet article, j'évoquais la découverte, pliés en deux dans l'ouvrage Architecture et mode de vie, de quelques feuillets tapuscrits sur un papier extrêmement fin.
Ces feuillets provenant de la bibliothèque du Fonds de l'Agence Lestrade, je vais vous les donner à lire car ce qu'ils contiennent est sans doute un témoignage de la première importance sur la construction du Pavillon de l'U.R.S.S à Paris par Melnikov, architecte constructiviste.
Les feuillets donnent peu d'informations sur leur origine. On comprend rapidement pourtant grâce à de fréquentes notations de coupures qu'il s'agit de la transcription écrite d'un ou de plusieurs enregistrements d'une conversation avec un interviewer anonyme et un certain Georges Zolotobin qui est le témoin de cette histoire. Les feuillets ne sont pas datés mais si on en croit la fiche de renseignements de la première page, nous serions en 1978. On notera aussi que Georges Zolotobin est domicilié à Sèvres, tout comme l'Agence Lestade et la famille. Le voisinage doit certainement indiquer quelque chose sur la présence de ce témoignage chez Jean-Michel Lestrade. Pourtant aucun des enfants, Mohamed ou Gilles (merci messieurs !) ne se souvient de ce nom ou de cette amitié avec leur père. Aucun autre document pour l'instant, dans les archives de l'Agence Lestrade ne parle de ce Zolotobin. Le fait que ces pages soient simplement pliées et rangées dans le plat de couverture d'un livre consacré à l'architecture soviétique raconte bien par contre comment Jean-Michel Lestrade accordait une importance relative à ce témoignage et aussi comment il avait décidé de l'associer à Anatole Knopp dont on pourrait déduire qu'il est l'interviewer même si cela peut sembler étrange car il est lui-même nommé par Zolotobin. On sait déjà que Jean-Michel Lestrade avait des amitiés disons progressistes et communistes et qu'il a travaillé d'une certaine manière pour le bloc de l'Est, presque à son corps défendant, du moins, c'est ainsi qu'il a toujours raconté son histoire. Si on observe de près encore l'aspect des documents avant leur contenu, on voit un papier à lettre très fragile, extrêmement léger comme on en produisait pour les courriers internationaux pour limiter leur poids. On voit aussi la très mauvaise qualité de la transcription à la machine à écrire, pleine de fautes de frappe, d'une mauvaise mise en page, voire des hésitations orthographiques notamment sur le nom même de Melnikov orthographié Melnicov. C'est donc une personne peu au fait des techniques de dactylographie qui a réalisé cette transcription. Il ne peut s'agir de Jean-Michel Lestrade qui était, selon le témoignage de sa famille, un véritable tueur au clavier comme me l'affirma au téléphone Gilles Lestrade hier, capable d'abattre des pages et des pages sur sa machine Olivetti.
Par contre, pour ce qui est du contenu, aucun doute que cette parole est de premier ordre. On entend enfin une personnalité affirmer beaucoup d'éléments sur la construction de ce Pavillon de Melnikov et l'ensemble est assez ahurissant. La personnalité de cet architecte exilé devenu traducteur et critique d'architecture laisse pantois car, même s'il est très présent à ce qu'il raconte, sa personnalité et son histoire personnelle restent tout de même mystérieuses. En ce sens la petite fiche résumant sa vie est la seule vraie histoire de ce Zolotobin, vraie histoire dont on ne sait malheureusement qui a décidé de la réduire à ces quelques informations. On voit se découper la personnalité d'un homme dont on ne sait rien de sa vie privée, ayant participé à l'épopée de Melnikov à Paris puis sans doute à une vie diplomatique de la jeune U.R.S.S avec des trous et des absences très étonnants. L'homme semble avoir passé sa vie entre les Amériques et la France où il séjourne donc au moment de l'interview. Étant né en 1900, il ne fait pas de doute qu'il est décédé. J'ai demandé à Jean-Jean Lestrade de voir en mairie de Sèvres si on aurait la trace de ce décès et sa date. Le contenu montre aussi un homme philosophant, ayant des idées très marquées sur le Constructivisme ou la philosophie, ayant peut-être aussi, pour ce qui est de la Modernité été retourné par le Stalinisme, sans doute plus pour vivre de manière protégée à l'étranger que par sa possible adhésion à l'idéologie. Il va sans dire que depuis cette lecture, nous (Jean-Jean, Alvar, Walid et moi) tentons notre possible pour retrouver le plus d'informations sur cette personnalité qui, parfois se contredit un peu, par exemple sur la réussite de la préfabrication du Pavillon, contradictions qui peuvent aussi raconter une interview en plusieurs jours.
Dans le fil du texte, on entend d'ailleurs Georges Zolotobin demander si c'est bientôt fini, ce qui prouve aussi qu'il accorde cette interview pour faire plaisir à son interlocuteur, montrant sa lucidité sur le fait que ce qui est intéressant c'est bien son témoignage sur Melnikov et non sa propre vie pourtant très riche et particulière.
Malgré tous mes efforts, je n'ai pu trouver aucune trace de Zolotobin. Même l'excellent ouvrage de S. Frederick Starr sur le Pavillon de Melnikov reste muet.
Je vous donne à voir puis à lire des extraits du texte dont j'ai fait la transcription. J'ai corrigé au mieux les fautes de frappe ou d'orthographe. J'ai indiqué les coupures. Merci à la famille Lestrade de nous laisser partager ce document et merci de ne pas le dupliquer sans autorisation. Ce texte fera en effet l'objet bientôt d'une édition. Pour illustrer ce beau document, je vous en offre un autre au moins aussi rare en fin d'article. Bonne lecture.





Georges Zolobotin : né en 1900 (Aloutcha), étudie à Moscou, ASCOVA, participe à la première consultation pour le Pavillon de l’U.R.S.S. de Melnikov en 25. Ami du peintre Georges Nisski, rencontré au Vhutemas en 1923.Travaille pour Melnikov sur le Pavillon. Reste en France, travaille comme agent de liaisons culturelles pour le gouvernement soviétique en France jusqu’en 1939. En 37 participe activement au Palais des Soviets de l’exposition Universelle de Paris. Fréquents aller-et-retours entre Paris et Moscou, puis reste définitivement en France. Divers travaux de traduction, conseille Le Corbusier pour le Centrosoyouz. Fréquente Maïakosky et organise une partie de son voyage de 1925. Départ probable pour les U.S.A et l’Amérique Latine (Brésil, Mexique) en 39. Aucune trace pendant la guerre.
Retour en France en 1948. Certainement expulsé des U.S.A qui le considèrent comme un possible agent de renseignement. Son nom réapparaît pour des manifestations culturelles diverses, exposition universelle de Bruxelles de 58 et celle de Montreal en 67. Sans doute qu’il sert de traducteur russe/français. Son nom est alors orthographié Zlobotine. Nombreux articles sur l’architecture russe et soviétiques dans les revues comme France U.R.S.S Magasine, Études Soviétiques. Grand ami d’Anatole Knopp (correspondance abondante) il organise avec lui une tournée de conférences sur l’héritage du Constructivisme en Europe (Paris, Amiens, Le Havre, Marseille, Bruxelles). Aragon le nomme dans son ouvrage Histoire Parallèle U.R.S.S. Obtient la Nationalité Française grâce à l’appui d’Aragon en 62. Il organise sans doute la venue de Niemeyer en France pour les siège du P.C.F et appuiera aussi le choix de Niemeyer pour la Maison de la Culture du Havre. Travaille alors pour les éditions Nagel. Voyages officiels comme représentant de l’Architecture Gouvernementale de l’U.R.S.S. dans l’Europe de l’Est, Roumanie (58, 62, 68) et Bulgarie (59, 72).
Semble avoir quitté toutes activités officielles en 78 mais garde de nombreux contacts avec le Parti Communiste Français. Participe à l’exposition 60 ans peinture soviétique, Comité d’Organisation avec Larissa Ivanovna Novojilova en 1977, Musée Russe d’État de Leningrad. Sans doute qu’il participe au choix des œuvres. Son nom est aussi visible dans le catalogue de l’exposition les Châles Russes, Paris. Réside en France à Sèvres. 


- Vous savez tout est arrivé par le train. Tous les éléments étant préfabriqués, il ne restait plus qu’à faire le montage. J’ai dû aider les ouvriers français recrutés pour ce faire mais l’ensemble était bien conçu et il n’y eu aucune difficulté particulière. C’était si simple que les ouvriers russes et français n’avaient pas besoin de se comprendre. Seulement on était en retard et la flèche n’était pas montée le jour de l’inauguration. Mais je ne sais pas pourquoi cela n’inquiétait personne...
-Tout était en bois un peu comme une cabane ?
-Oui, tout en bois sauf les éléments de toiture en toile goudronnée pour l’étanchéité. On aurait dit une cabane c’est vrai. C’était tellement léger que les autres groupes qui montaient leur pavillon croyaient que nous montions l’échafaudage et non le pavillon lui-même. Je me souviens de l’un des charpentiers français qui me demanda plusieurs fois quand est-ce que les pierres de taille arriveraient.
- Cela d’ailleurs choqua en partie la critique de l’époque ?
- De l’époque ? Et encore aujourd’hui ! Melnikov tenait à cette impression, à cette légèreté, finalement à ce manque d’histoire. Ne pas faire semblant que cela avait un poids pour l’éternité. Oui, une cabane, une baraque de fête foraine, on parle trop peu de cette influence, la fête foraine ou le cirque. Pourtant, il y a une expression en français... Ah... Comment dit-on ça déjà... Oui un entre-sort, un entre-sort ! C’est ça. Melnikov avait fait en fait un entre-sort. Autrement dit la fluidité des visiteurs, la circulation entre le dedans et le dehors devait être à la fois lisible et naturelle. Le spectacle tenait bien dans la surprise de se comprendre ou dedans ou dehors. Mais il ne faut pas oublier aussi la couleur. Rodchenko avait fait un travail superbe, fort et très tranchant.
Du gris et du noir ?
Oui et du blanc et surtout il avait compris aussi que la transparence des ouvertures créerait des zones mouvantes et sombres, des ombres visibles depuis l’extérieur. Il avait su jouer avec la polychromie pour faire chanter les aplats de rouge avec la vie du bâtiments. Comme une vitrine de grand magasin. Personne ne pense à Rodchenko pour ce pavillon. C'était pourtant comme une peinture abstraite en volume. On pouvait littéralement pénétrer dans la peinture. La faire bouger avec ses pieds, son corps et ses yeux. Le gris lui prit beaucoup de temps, d’attention. Il avait fait des essais et une palette avec tous les choix possibles. Je me souviens qu’il mettait toujours les feuilles des arbres contre ses gris pour voir comment le vert des feuilles jouait avec.
- Vous étiez tout le temps sur le chantier ?
coupures
- Non pas tous les jours. Melnikov suivait les travaux avec attention, vérifiant bien que tout était bien arrivé. C’était sa hantise qu’il manque une pièce. Mais non, tout était là, il n’y eu que très peu d’adaptations finalement. Des détails comme la rampe de l’escalier ou l’alternance des pointes des triangles de la flèche. Aussi la forme des lettres qui écrivaient le URSS que Melnikov voulait le plus simple possible comme dessinées par des ouvriers à la scie. Mon travail consistait à apporter un peu de confort dans la vie quotidienne, vous voyez, des trucs pratiques comme commander à manger, résoudre les problèmes de livraisons et faire aussi un peu de publicité. J’étais jeune ! Je n’avais peur de rien ! J’étais à Paris ! Je ne suis pas rentré et vous êtes là. (Rires)
coupures
 - Très peu pour le Pavillon de 37. Tout autre histoire. Tout autre construction. Pourtant j’ai travaillé pour la traduction là encore mais pas pour la construction.
- Alors revenons à 1925 et à Corbu.
 - Corbu, il n'avait rien compris au Pavillon de Melnikov. Il le trouvait léger. Je le revois tâter les murs et nous dire que ça irait à la rigueur pour un théâtre japonais mais pas pour une Révolution. Melnikov lui a répondu que faire un trou pour faire passer un arbre c'était du sentimentalisme petit bourgeois tout aussi théâtral. L'autre, il n'a pas apprécié ! Mais Corbu a tout de même fait la visite de Paris avec Melnicov.
- Comment était perçu Corbu par l’équipe de Melnicov ?
- L’équipe je sais pas. Melnikov est resté un peu en retrait, ne sachant pas très bien de quelle manière il était instrumentalisé par les architectes français, chacun voulant faire croire que la Modernité se propageait parce qu’on partageait la banquette arrière d’une même automobile. Corbu, moi je le trouvais important mais le problème c’est que lui aussi se croyait important et que toute son équipe lui disait son importance tous les matins... Corbu pas de doute, un grand mais rien à voir avec la Révolution. Il voulait bâtir pour construire autant son image que des architectures. Mais bon, les Cités Radieuses elles auraient bien pu être à Moscou en 25. Faut croire aussi que Corbu il a bien regardé nos architectes. Faut bien des échanges comme on dit...(Rires)
- Vous l’avez rencontré combien de fois ?
- Oh, je ne sais pas... Souvent... Je l’ai revu en 62 ou 63 pour un dernier article. Toujours pareil. Un peu grande gueule, il nous a reçu en maillot de bain et torse nu dans son cabanon dans le sud. Bon, y en a encore pour longtemps ?
coupures
- Non, non et non. Les constructivistes ne devaient pas être ces despotes de la vie conjugale, de ceux qui se croient force prolétarienne parce qu'ils ordonnent aux machines à l'usine et laissent la femme et les enfants au domicile. Le vrai constructiviste ne voulait pas fabriquer une boite moderne, il voulait ouvrir la boite, en déplier un à un tous les murs sur la terre commune. La femme soviétique ne devait construire qu'un seul mur, celui la protégeant de la violence conjugale des hommes quand bien même ils se diraient constructivistes. Faire une machine à habiter ça n'a de sens que si homme et femme maîtrisent la machine, huilent les rouages, la nettoient et même la jettent ensemble lorsqu'elle est usée. Le patrimoine familial ! Voilà l'ennemi de classe ! Le foyer conjugal voilà l'autre !

coupures
- Je tentais de démontrer que plus la vitesse augmente pour les communications et les circulations moins l’espace de la pensée est ouvert un peu comme le champ visuel se resserre au fur et à mesure que l’on va vite. Il est alors aisé de comprendre que sans espace de réponse ou d’une instantanéité trop forte, la pensée architecturale ou philosophique produira des formes abâtardies, réduites à rien et en métamorphose permanentes. Un monstre s’auto-dévorant. Les communications aujourd’hui ne réclament plus de formes mais des instants. Alors tout suit. C’est pour cela aussi que je crois que Virilio a vu dans les blockhaus la  dernière forme totale, brutale, ancrée, menaçante de notre époque à l’inverse de la pensée-vitesse. Il viendra un jour, vous verrez, où les blockhaus, disons bunkers, j'aime mieux ce mot plus court dans lequel ne figure pas maison, viendra un jour donc où tout le monde les aimera et fera comme si leur présence était un trophée à la compréhension du monde. Ce jour-là, la pensée-vitesse, celle du mur qui court et qui sépare autant qu'il relie, et je mets Berlin dans ce cas, ce jour-là, la pensée-vitesse capitaliste aura tout son sens, sera aimée, dominatrice. Et non seulement, la pensée globalisante aura détruit une seconde fois l'architecture de ces objets de guerre mais aussi le sens même de leur présence. Quand l'art prendra le bunker comme motif, comme Cézanne prend une pomme, le répétera, le déclinera au sens étymologique, alors plus rien ne pourra le sauver de sa lente fuite vers les eaux et la profondeur de la terre. Il faudra renoncer à interpeller ce monde. La guerre aura gagné. Les machines-visions et les horizons abolis par elles seront nos maîtres. Partout des caméras au lieu des mitraillettes tireront des vues en rafale qu'un gardien anonyme épiera toute la journée. Les murs ne seront plus de béton, ils seront d'images.



Cette carte postale du Pavillon de l'U.R.S.S à l'Exposition Internationale des Arts Décoratifs de 1925 est rare et très intéressante. On pourrait facilement croire que nous l'avons déjà vue mais il faut toujours être perspicace lorsqu'on regarde une image. D'abord le photographe de cette édition Braun et Compagnie se place au pied même de l'escalier n'offrant finalement que peu de recul sur la construction de Melnikov, ici, orthographié Melnikoff. Cela n'est pas si étrange que cela car, bien entendu cela signifie que le bâtiment se raconte là, dans cet étrange dessin d'escalier, partant de biais, en diagonale dans le pavillon et dont le jeu des planches croisées qui le couvrent accentue encore les effets cinétiques et troublants. Nous sommes donc pile-poil en face du point de vue exactement opposé aux autres cartes postales de ce Pavillon de l'U.R.S.S que nous avions déjà vues sur ce blog. Nous sommes donc aussi, et c'est la chance de cette image au pied de la grande flèche qui le signalait aux visiteurs. On peut observer à loisir là aussi par le jeu des diagonales, des triangles ce vocabulaire de la fragmentation, de la fragilité aussi. Des vides associés les uns aux autres, des espaces pulvérisés comme si l'ensemble était inachevé, dans un état intermédiaire en quelque sorte.



On devine aussi au travers de la large vitrine quelques objets d'Arts Décoratifs qui étaient visibles dans le Pavillon de Melnikov. Finesses des châssis des fenêtres, planches apparentes sur le seuil, tout concède à ce Pavillon à une grande radicalité bien, oui, bien loin de la pompeuse tradition décorative des autres Pavillons de cette Exposition (hormis le Pavillon de l'Esprit Nouveau).
Autre chose :


Comme vous pouvez le voir sur le verso de cette carte postale, elle fut éditée par la maison de Chocolat Martougin et expédiée en... 1934... La carte fut-elle éditée si loin de l'événement ou bien a-t-elle traîné dans le tiroir de l'expéditeur avant de trouver son correspondant ? Pourquoi donc le Chocolat Martougin communique-t-il avec ce Pavillon de L'U.R.S.S. Sans doute, s'agit-il d'une série publicitaire sur cette Exposition Internationale de Paris. Malheureusement, cette fois encore, aucun témoignage de l'expéditeur sur son choix de carte postale et donc aucun avis sur l'architecture ne sont émis. Mais pouvoir ainsi être au pied de l'une des plus belles architectures constructivistes du siècle dernier est déjà une chance. On trouve dans l'ouvrage de S. Frederick Starr de très belles photographies qui nous permettent de mieux saisir ce point de vue. Réjouissons-nous de cette belle carte postale et si le Chocolat Martougin existe encore... Merci de nous envoyer une petite dégustation....




samedi 7 octobre 2017

Jean Bossu en France

Parfois, je l'avoue, certains noms d'architectes résonnent pour moi d'une manière toute particulière. C'est le cas avec Jean Bossu car j'ai la chance de compter parmi mes fidèles lecteur Xavier Dousson qui est un spécialiste de cet architecte. Sans cela, je crois bien que je n'aurais jamais rencontré ce nom car Jean Bossu est finalement assez peu connu, sauf peut-être pour son travail dans les départements d'Outre-Mer ou encore l'Afrique du Nord pour lesquels il apporta indéniablement une grande contribution moderniste.
Mais voilà, regardez :


Nous sommes en France, à Fumay dans les Ardennes, et cette carte postale Combier nous donne comme information que cet ensemble du Charnois est de Jean Bossu architecte et urbaniste...
On y voit deux typologies de constructions qui se font face, d'abord une barre toute droite venant se placer devant un bâtiment en U dont on devine qu'il est en cours de construction. Quelle place a l'urbanisme dans cette proposition qui rappelle beaucoup celle de  Revin vue il y a peu ? On notera que l'ensemble prend place sur une colline ce qui pourrait donner l'idée que l'architecte a d'abord voulu offrir dans un plan simple et rigoureux une manière d'embrasser le paysage, la forêt étant sur l'autre rive, un horizon dense. Former un îlot central, un immense vide entre les constructions c'est là aussi une position moderne, bien marquée par un grand ordre, voulant offrir espace, lumière et jardin en resserrant dans une clôture habitée les logements. La route viendra ouvrir en bas l'îlot. Je cherche donc une autre carte postale de Fumay et je trouve ça :


Cette fois c'est une édition A.T.M.O expédiée en 1971 qui nous permet tout de même de saisir qu'il y a là au moins trois architectures différentes. D'abord le grand U ici terminé, la barre à son pied et maintenant une autre barre contrariée perpendiculairement par un minuscule îlot. Les traitements architecturaux sont bien différents à chaque fois. Qui a fait quoi ?
Les vues aériennes ont aussi cette capacité de nous montrer que le paysage reste autour des barres et des résidences, totalement vierge, sans plan de jardin ou de parc, comme si, littéralement, les immeubles avaient atterri là d'un coup. C'est exactement ce que j'aime. Je regarde les traits plus clairs qui signalent des chemins faits d'usage et j'imagine la liberté des jeux autour du Charnois.
Ne partez pas à Fumay en safari. Il ne reste rien. Il semble que les grandes compositions du Hard French n'ont pas su trouver le chemin de l'histoire. Seule l'une des barres permet encore de localiser ce lieu, le U puissant a disparu. Me reste cette incroyable proximité de plan, d'images et même de points de vue similaires entre Fumay et Revin comme si Jean Bossu sur une colline, dans une boucle d'une rivière avait trouvé la formule idéale.




lundi 2 octobre 2017

Istanbul américaine, européenne, internationale.




Au tournant du virage apparaîtra la beauté simple d'un immense parallélépipède percé d'ouvertures. Mendes, le photographe, heureux de ce surgissement, en fera une photographie chic en noir et blanc, spécialement décalée dans son format, comme un objet précieux dans un écrin. Le papier photographique de cette carte postale est solide, d'une matité qui donne au piqué de l'image toute sa chance. On notera que le photographe signe par un tampon sec et un gaufrage son nom dans l'image.
Il s'agit d'une carte postale d'une certaine classe, la première, sans doute.
Mais c'est aussi parce que cet immeuble n'est rien moins que l'Hôtel Hilton d'Istanbul.
Et la machine à rêver se met en route. Tourisme international, Jet Set, diplomatie souterraine James Bondesque et marchés juteux à l'International, tout est inscrit dans ces deux mots : Hilton et Istanbul. On dira une atmosphère.
Il fallait de grands architectes internationaux (et donc à cette époque américains) pour construire cette beauté moderne. Il faudra donc Skidmore, Owings et Merril mais aussi, associé, Sedad H. Eldem.
Comme l'objet est beau et moderne, comme il signe son époque, la revue l'Architecture d'Aujourd'hui le mettra sur sa couverture du numéro de septembre 1955 et fera un bel article de deux pages. On notera que l'une des photographies de cet article est très proche du point de vue de la carte postale. Le désir de montrer le paysage dont l'hôtel est la vigie moderne est certainement la raison du succès de ce cadrage.
Est-il encore aujourd'hui nécessaire et utile d'aller là-bas ?
Les photographies de l'article sont de Othmar Pferschy.