mardi 22 mars 2016

Vrai de vrai




Yasmina tenait fermement la main de Mohamed.
Elle l'avait vêtu de sa blouse d'écolier que le petit garçon avait voulu serrer à la taille avec une ficelle pour imiter la tunique de Robin des bois qu'il avait vue dans le livre offert par Jean-Michel Lestrade la veille. De loin, cela lui donnait l'air d'une petite fille.
Il fallait avant de partir s'installer définitivement dans la famille Lestrade que Yasmina fasse quelques courses et surtout trouve un petit cadeau pour son arrivée. Depuis presque un an déjà, elle avait décidé de suivre Jean-Michel Lestrade en France et avait accepté sa proposition de reconnaître Mohamed comme son fils dès que cela serait possible. Au début, Yasmina n'avait pas bien compris pourquoi, pourquoi cet homme venu au Maroc avait soudain décidé ainsi de fabriquer une histoire avec elle et son fils. Elle avait vu d'abord, comme toujours, l'intérêt pour son fils, elle avait trouvé là une manière de le soutenir. Et puis, aussi, elle avait osé se l'avouer, elle avait vu aussi une opportunité pour elle, une chance mais aussi une aventure. Parfois, il lui arrivait même de penser que peut-être c'était par égoïsme qu'elle avait accepté la proposition mais il suffisait qu'elle se rappelle comment Mohamed sautait dans les bras de Jean-Michel dès qu'il le voyait, comment le petit garçon tenait serré dans ses bras le petit lapin en peluche, comment il en mâchouillait les oreilles pour rassurer Yasmina sur sa décision. D'ailleurs à l'instant même, Mohamed avait bien ce lapin dans ses bras.
Au groupe des Courtilles d'Asnières, Yasmina savait qu'elle trouverait à la supérette, un lot de jolis mouchoirs brodés de petites violettes qu'elle voulait offrir à celle qu'elle appelait encore Madame Lestrade.
Madame Lestrade, Yasmina l'avait rencontrée plusieurs fois et toujours elle avait été attentive, accueillante, heureuse de la revoir. Toujours, Madame Lestrade lui parlait à elle, lui demandait comment elle allait. On parlait de décoration, de couture, de nouveautés vues dans Marie-Claire. Madame Lestrade et Yasmina partageaient une admiration pour Gérard Philipe et plusieurs fois, elles allèrent même au cinéma ensemble pour voir l'acteur. On laissait Mohamed avec Gilles et Jean-Michel et qu'ainsi, les deux femmes puissent abandonner les enfants à l'homme de la maison, Yasmina trouvait cela très moderne et même un peu choquant. Au retour, Yasmina aimait bien comment Jocelyne lui prenait le bras, discutait de la beauté de l'acteur, librement et se moquait des petits travers de Jean-Michel. Jamais, jamais, Jocelyne ne lui parla directement de l'adoption possible de Mohamed. C'était toujours Jean-Michel qui le faisait et toujours en présence de Jocelyne et de Mohamed qui d'ailleurs s'il ne comprenait pas toujours, avait saisi la tendresse autour de lui.
 - Dis Maman, dis, Gilles, il y sera là à la nouvelle maison ?
 - Bien sûr, oui Momo, tu sais bien, t'as vu ta nouvelle chambre elle est juste à côté de celle de Gilles.
 - Et que pourquoi qu'on sera pas dans la même chambre ? Que moi, j'aime bien la chambre à Gilles.
 - La chambre DE Gilles, mon Loulou. Mais c'est mieux, vous aurez tous les deux votre lit, votre espace pour jouer et rien ne vous empêchera de jouer ensemble, tu comprends ?
Un silence fut coupé par le Klaxon d'une Traction-Avant. Yasmina n'eut pas le temps de comprendre d'où venait le son que déjà Momo criait dans la rue :
 - Papa Jean ! Papa Jean !
En effet, comme promis, Jean-Michel venait les chercher. On chargea la voiture de la petite valise et du petit garçon qui trouva sur la banquette arrière un numéro de Spirou.
Alors que Jean-Michel parlait à Yasmina de sa future installation, de l'impatience de Jocelyne, des nouveaux rideaux qu'elle avait installés dans la chambre, Yasmina regardait la ville d'Asnières et sa cité des Courtilles disparaître derrière les vitres de la voiture. Elle se sentait légère, sûre d'elle, heureuse avec tout de même une petite pointe, là, à gauche, sur la poitrine.
 - Papa Jean, quand c'est-y qu'on y revient à Nasnière ?
 - Asnières ? Oh mais, je ne sais pas Momo. Pourquoi tu veux y revenir ?
 - Ba, je sais pas, c'est pour toujours qu'on y part ?
 - Oui, je crois. Gilles t'attend à la maison, c'est lui qui t'a choisi le Spirou.
 - Vrai ?
 - Vrai de vrai Momo !

Carte postale des éditions Raymon, exclusivité Librairie-Papeterie Rahaut. Pas de date, pas de nom de photographe ni d'architecte.

 





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