samedi 8 août 2015

Le jour, la nuit sur le neuf



Pourquoi ne pas y croire à notre tour ?
Comment devant la perfection de la maquette, son oubli des détails, la mise en place parfaite des volumes, la joie des alignements et le clignement des blancs et des noirs, ne pas croire en la justesse promise par cette maquette ?
Tout ici est calme, propre, bien tenu. Tout ici offre espace, liaisons, échelle acceptable. On rêve même devant les façades contrastées des barres à une modernité franche.
Pourtant, il suffit d'aller voir pour déchanter un peu. Surtout, si on va voir aujourd'hui.
Nous sommes à Saint-Dizier dans le quartier nommé le neuf comme pour bien affirmer par là la différence entre la ville ancienne et historique et l'événement de la construction de ce quartier.
Comme partout, il semble que l'histoire récente de ce quartier soit celui de beaucoup d'autres en France. Un quartier neuf, affiché même comme moderne dont on nous dit qu'il est l'héritage de la Chartes d'Athènes et de le Corbusier. Un quartier aimé, désiré sans doute par les nouveaux habitants au début de sa construction puis viennent la crise, le désaveu politique et social, l'incapacité à entendre l'évolution qui sourd et la catastrophe prévisible (car si accepté comme généralisé) pour prendre enfin, le nom de quartier sensible ou de zone difficile. Sensible ? Comme s'il ne l'était pas avant. Comme si au moins avec cette dénomination, on avait tout de même une identité.
Rien, bien évidemment dans cette carte postale dont on doit le cliché à Dirler, rien ne peut raconter cette histoire qui viendra. Non, tout ici encore veut croire au parc arboré entre les barres, à leur proximité décidée pour laisser l'air, le soleil entrer dans les logements. Tout ici dans le vide de personne, dans ce quartier dont émergent à peine une dizaine de minuscules automobiles ne pourra raconter les parkings pleins au milieu d'une végétation abandonnée et non qualifiée qui deviennent le seul paysage, la seule aire de jeu. Et les petits arbres de lichen collés au joyeux hasard d'un maquettiste ne peuvent raconter la paupérisation à venir d'un quartier.
À qui la faute ?
Aux architectes ? Aux équipes municipales n'ayant pas su prendre en compte ce nouveau quartier dans le tissu urbain de la ville ? Aux offices d'H.L.M n'ayant pu là que subir une évolution des familles et de leurs désirs sans comprendre qu'il fallait être une force de changement ? Aux habitants eux-mêmes laissant sans réaction, sans combat, se laisser parquer dans une histoire ? Qui sait ?
Pas moi.
Mais la sidération évidente d'une telle image, son poids narratif allant du jeu de construction à l'espoir d'un projet, tout cela demeure.
Et la projection que nous y faisons n'a rien à voir avec celle de son époque. Ne faisons pas semblant de ne pas le voir et même aimons cet écart, car, voyez-vous, cela de toute façon ne changera rien ni pour nous extérieurs à l'image, ni pour ceux qui partagent aujourd'hui cet espace.
La carte postale nomme ainsi son image : L'ensemble paroissial Ste Thérèse du Vert-Bois parmis les buildings.
On passera rapidement sur la faute sur parmi écrit avec un S et on écoutera bien davantage le mot building qui vient de loin, d'une autre langue, qui raconte la modernité, une forme de gigantisme superbe. L'éditeur ne dit pas immeubles, barres, tours ou nouveau quartier. Non, il dit buildings car cela doit reclasser l'ensemble, faire rêver à une montée d'échelle sociale. Qui, aujourd'hui, dans ce quartier dira qu'il habite un building ? Personne, je crois.
Ici, on aimera surtout au milieu du plan masse, voir surgir l'ensemble paroissial avec sa belle voûte parabolique qui nous raconte une familiarité avec ce genre et ce dessin. Un ensemble paroissial cela proposait sans doute des activités pour les jeunes, des salles de réunions ou des fêtes, des rendez-vous, et un œcuménisme joyeux d'une époque ouverte. Au cœur de l'îlot, dans une hauteur plus basse que seuls le campanile et la voûte débordent pour faire un geste architectural, on devine une architecture de liaisons offrant aussi des patios intérieurs comme protégés du monde, image d'un cloître moderne : pouvoir ici laisser l'extérieur.
Regardons cette autre carte postale du même éditeur :



Comme pour les maquettes de Royan, le ciel est un aplat noir caviardant le paysage. On compare les deux cartes postales et on devine qu'il s'agit bien là d'une autre maquette, plus précise, plus lisible donnant mieux à voir l'ensemble paroissial.
Là aussi la vie semble facile, les petites figurines approchent, se retrouvent, accèdent au lieu dans un silence trop éclairé par les spots de la photographie de studio : soleil égal.
Pas d'automobile, pas de piéton traversant les pelouses, de chemin fabriqué à grand coup de raccourci.
J'essaie de savoir si cette grande courbe est elle aussi en fusées céramiques comme celle de Grand-Quevilly détruite par la bêtise ou celle de Serqueux encore debout. On reconnaît cette forme comme commune à son époque comme si ce dernier sursaut de l'arc en plein cintre finissait là dans Vatican 2.
Mais voici qu'arrive une carte postale jumelle :



Vous remarquerez que le jour s'est levé, que la nuit a disparu au profit d'un ciel nuageux mais tout aussi mystérieux. C'est bien la même maquette et le même cliché mais ici, le trucage photographique est différent. Pourquoi cette soudaine multiplicité des fonds ? On notera que l'éditeur précise à l'acheteur, entre parenthèses, qu'il s'agit de la maquette... Comme si un doute persistait.
Au dos, pourtant, cette seconde carte postale nous donne une information que la première ne nous donne pas : celui de l'architecte. Ici c'est André Croizé qui est nommé.
Si vous allez à Saint-Dizier ne manquez pas le très bel ensemble les toits rouges de Iwona Buczkowa.


























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